Comme la «quotidienneté ou presque» de ces épinglettes a été vite remisée au magasin des vœux pieux! Ma volonté de constance minimale aura été bien rapide à fondrer* et à s'engluer dans d'innombrables morosités. Intérieures et profondes, noyées d'obscurité, qui par intermittences éclipsent tout et réduisent à l'immobilisme psychique. Et ces autres morosités, bien plus faciles à cerner, imputables aux amertumes qui ne passent pas, écorchent le palais, ne veulent pas se laisser déloger par l'artifice des petites phrases-exutoires qui soulagent de sentiments trop intenses dont on est encombré, voire meurtri.
Il faudrait pour tenir à peu près debout pouvoir se fermer aux fétidités morbides dont on ne cesse d'être submergé et que ne peuvent même plus atténuer ces micro-merveilles dont chaque jour est riche pour quiconque sait les accueillir. Une senteur, une incidence lumineuse traversant une feuille ou frappant la surface d'une flaque... Tout cela est bien impuissant à amoindrir les coups répétés que les «autorités» depuis deux ans nous infligent au motif de nous «protéger», en réalité pour fracturer ce qu'il y a d'humain en nous – jusqu'à nous dé-facer derrière des masques et nous voilà effacés – , exaspérer autant que faire se peut les tensions, les haines ordinaires et, in fine, rendre les gens fous de lassitude, de peur, quand ce n'est pas de précarité et de misère. Quelques poches de résistance sont encore là mais pour combien de temps? Jusques à quand le sol sera-t-il bosselé de ces aspérités qui freineront le rouleau compresseur des pouvoirs mondiaux? Ces fétidités, pareilles à une marée haute refusant de redescendre, sont de ces choses que l'on doit s'efforcer de tenir à distance puisque l'on ne saurait, à se rebeller contre elles, que se fracasser contre un mur.
Ces mesures – peut-être en effet protectrices mais peut-être pas tant que cela – ne me semblent, hélas, être que la part la plus visible, la plus envahissante, d'un ensemble de propos politiques et gouvernementaux qui, tous domaines confondus, m'apparaissent de plus en plus marqués au sceau du mensonge, de l'intention propagandiste, et de la très, très mauvaise foi électoraliste. Je n'ai pas la liberté d'esprit requise pour poser loin de moi les sentiments que cela m'inspire; chaque mesure annoncée me fait l'effet d'une pelletée de cendres reçue en pleine face – et chaque jour d'être ainsi plus cinéraire que la veille et bien moins que le lendemain.
Ce dépeçage savamment reconduit des espoirs, au creux desquels on s'efforce bon an mal an de loger les désirs, les aspirations afin de rester vivant, n'en finit pas d'imposer sa brutalité tsunamique. Mais ce que j'en écris là n'en dit au fond presque rien.
Une visualité récente sera bien plus loquace, saisie à la faveur d'une errance du regard au ras du sol... Sur le bitume tout soudain ce pauvre pigeon mort, dont seules subsistent les ailes et les plumes de la queue avec, en guise de corps une carcasse déchiquetée: et c'est aussitôt l'image de mon état d'âme du moment que je vois – comme si j'avais devant moi un miroir reflétant la part défaite de mes intériorités, jusqu'aux plus secrètes. La violence est extrême qui émane d'un animal mort et j'ai pour habitude de me détourner des corps que je peux croiser – les voir est insupportable: cela suffit à infuser une si forte idée de souffrance mortelle qu'il me semble en être physiquement parcourue. Mais là...
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Passé un premier mouvement de recul je ne puis m'empêcher de reposer les yeux sur ce cadavre pour en observer les lignes, les reliefs, les teintes, la figure géométrique qu'il dessine – au point que l'oiseau massacré disparaît pour céder la place à une bouleversante composition archétypique du Désastre et de la Défaite.
Parce que l'oiseau a disparu derrière la figure, le regard posé, puis la photo sont devenus possibles.
* = sombrer en de profondes fondrières.