D'ordinaire lorsque je reviens ici après un long silence j'invoque pour expliquer celui-ci des phases d'apathie mentale plus profondes que de coutume, des périodes durables d'inclination à l'àquoibonisme, une humeur aranéeuse et morne particulièrement invasive mais ce mois-ci que je rattrape in extremis par le fond de culotte de son dernier jour avant qu'il ne file au loin, les jambes à son cou, rien de tel - ce qui m'a tenue à l'écart de ces Terres ombreuses est, au contraire, une pensée sans cesse en état de crue, soumise aux feux croisés d'indignations multiples et foisonnantes qui n'ont cessé de la faire déborder et donc de la pousser continuellement hors du lit où elle doit se cantonner pour se muer en discours solidement articulé. En d'autres termes je me suis abandonnée presque chaque jour ce mois-ci à ces réaction épidermiques dont je me méfie de plus en plus, car ces dernières années j'ai eu à maintes reprises l'occasion d'apprendre que certaines des opinions, des intentions les plus louables cachaient toujours en leur sein un effet pervers, une aporie suffisant à les ruiner - et dans le même temps que des intentions, des opinions a priori abominables et condamnables sans appel pouvaient par un côté ou un autre sinon receler un "point positif", du moins être la résultante grimaçante d'une de ces "intentions hautement louables". J'ai gagné en lucidité mais j'ai perdu en confiance... et en capacité à espérer. Comment en effet ne pas sombrer dans le désespoir le plus pesant en voyant surgir au cœur des causes les plus nobles et des principes les plus fondamentaux dont on se demande comment il peut se trouver des êtres se prétendant humains pour les contester, des incohérences flagrantes, qui sitôt perçues brisent net l'adhésion que l'on pouvait spontanément éprouver pour ces causes et dont s'emparent avec jubilation les détracteurs pour aussitôt les amplifier, les dilater avec une partialité, une déloyauté, une perversité affligeantes jusqu’à la caricature?
Me méfiant des "réactions épidermiques" je n'ai pas pour autant la sagesse, le degré de détachement voulu pour être capable de les bannir tout à fait. Ces épidermismes à haute teneur en indignations m'ont assaillie tout au long du mois d'avril sans que je puisse les tempérer par un bon bain de "saine raison". Et sans que je puisse non plus les reléguer au loin tant ces indignations étaient tenaces. Incapable de les canaliser par la construction écrite mais tout aussi incapable de les traiter par le mépris et de ne plus m'en soucier, je me suis lâchée presque chaque jour sur les forums, les sites d'informations interactifs ou encore en laissant de longs messages chaque fois que je signais une pétition en ligne. Quelques mots ici, là, ailleurs, contre la maltraitance animale, contre les gaspillages éhontés, les vraies fausses mesures "en faveur de l'environnement"... peut-être ce faisant me suis-je attachée à de pauvres arbustes qu'il ne sert à rien de défendre et que des mal-intentionnés agitent à dessein juste sous nos yeux pour mieux cacher la forêt que l'on détruit en silence derrière. Mais tant pis. J'assume.
Et puis j'assume aussi d'écrire en vrac ces indignations qui, décidément, à cette heure me démangent trop...
De partout on réclame des "droits" - droit de manifester, droit de s’exprimer, droit de … et de… et encore de… mais pas une voix pour évoquer les devoirs. Veut-on "manifester" puisque c’est de cela dont il est surtout question en ce moment? Eh bien qu’on le fasse sans porter atteinte ni aux personnes, ni aux biens, ni aux édifices. "Manifester", "protester" n’a en aucun cas pour corollaire systématique la violence, n’en déplaise aux "Français en colère": pendant qu’à la périphérie des jaunissements hebdomadaires on agresse et détruit, il s’organise des manifestations bien plus massives et parfaitement pacifiques, comme celle des désobéissants civils qui par milliers ont bloqué les sièges des multinationales à La Défense sans qu’un seul geste violent soit esquissé et en conséquence de quoi les forces de l’ordre présentes n’ont rien eu à faire. L’équation est simple: pas de violences chez les manifestants = pas de violences policières. Point barre. Si "manifester", "exprimer son mécontentement" est en effet un droit que l’on devrait se réjouir de pouvoir exercer librement, détruire et agresser n’en est pas un – c’est un délit, puni par la loi, et le commettre expose à des sanctions.
Côté discours politiques, ils ne sont guère réjouissants: tous azimuts prolifèrent la brièveté de vue en tous domaines; les certitudes assénées à grand renfort de contre-vérités et d’infox auxquelles on réagit au quart de tour sans même relever que l’on répond à des sottises; les avis péremptoires proférés par des juges autoproclamés qui ne se sont pas donné la peine de peser un tant soit peu leurs arguments et qui mettent dans leur voix une agressivité telle que si elle pouvait tuer l’on assisterait à des hécatombes… et, par-dessus tout, la mauvaise foi, le cynisme, l’incommensurable arrogance avec laquelle certains croient identifier les maux et "trouvent" les solutions…
D'autres rages démangent, le prurit n'est pas éliminé... mais ici le verbe sèche.