Par moments, les signes synchronistiques pullulent en grappe, brasillent et crépitent ‒ constellations claquantes qui soudain enflamment un brin de sens comme des escarbilles une mèche de papier jetée dans l'âtre mais sans que l'embrasement dure assez pour que je puisse, du fil de lumière entraperçu par ma pensée, aller jusqu'à la phrase, jusqu'à la suite de mots qui m'en rendrait intelligible la substance si bien cachée par la sidérante clarté.
Attendre, alors, que l'éclair s'apaise et avec lui la joie de l'avoir vu zébrer le dense brouillard des réflexions remâchées tout échardé* de questions et de doutes puis tâcher de reconnaître dans la trace qu'il laisse sur la rétine un chemin menant à la véritable lumière: le sens enfin capté dans son ampleur tandis qu'elle continue mais en souplesse de s'étendre à la faveur de mille réticulations car la prolifération signifiante n'est jamais en repos du moins tant que demeure la faculté de penser.
Ne plus laisser trop longtemps traîner ces effilochures que l'un ou l'autre signe aura brûlées à leur bout sans que jaillisse l'étincelle mais seulement la fumée âcre dont la triste odeur de gâchis, qui subsiste et s'accroche, s'entête à planer bas et à s'infiltrer partout dans l'esprit las qu'un étouffement de plus plonge dans les affres d'une léthargie morbide...
Et si… les signes synchronistiques devaient ne plus être tenus pour des catalyseurs d’écriture, mais pour rien autre que ce qu’ils sont – des brasillements jetant leur brève clarté à leur immédiat entour et dont l’enseignement ne dépasse pas ce minuscule périmètre-temps? Autrement dit: cesser de m’arrêter si longtemps face à la clarté tue et de me lamenter en vain de n’en pouvoir retrouver l’éclat; réapprendre à ne plus assigner au geste scriptural l’unique fin d’idiodécryptage*…
Bifurcation
Voilà deux ou trois jours que je médite ce texte à partir duquel je pensais peu à peu me rediriger sinon vers la chronique, du moins vers de petites choses qui sortiraient du champ de mon seul introscope* personnel; Ce texte que je voulais être une amorce – et dont les premiers mots se sont très vite fixés en l’état où je les ai placés ici… Et d'emblée, aux «signes synchronistiques», se sont associés plusieurs éléments dont je ne me risquerais pas à déterminer a posteriori s'ils sont arrivés en simultanéité ou non: l'idée de points lumineux vifs et éphémères, celle de l'éclair lui aussi intense et bref, les mots «escarbilles», «crépitements», «embrasement» ‒ l'image très nette d'une mèche jetant mille feux puis qui s'éteint en fumant, comme arrosée d'eau. De là l'image d'un neurone, de ses longs filaments et de ses zones de connexion qui à mes yeux figuraient impeccablement le surgissement du signe puis la manière dont ensuite se trace la voie liant cette illumination à la verbalisation. Je me suis mise dès lors à écrire» mentalement dans une espèce d'euphorie brouillonne, essayant mille emphrasements* immédiatement retouchés... avec toujours, je dis bien toujours, le mot «synapses» désignant ces filaments, venant ici ou là, quelque part entre la mise à feu sous le coup du signe et la mise en forme tempérée par le travail d'écriture. Lorsque, enfin, j'eus la conviction d'avoir trouvé un petit bout de texte qui corresponde assez à ce qu'il me fallait traduire, je pris la précaution de vérifier que «synapse» était le mot juste, même si c'était pour moi une évidence les synapses étaient ces prolongements neuronaux par lesquels transitent les signaux nerveux. Or la synapse est une zone de contact ‒ un nœud, rien de bien long ni filiforme donc… Et si elle peut trouver sa place dans ce tissu de sens que je tente de tailler autour des signes et de ce qu’ils allument, ce n'est pas celle que je lui assignais spontanément... Quelle intuition miraculeuse m'a guidée vers cette vérification, à laquelle je me livrais alors même que je la croyais superfétatoire! Elle m'a évité in extremis une faute pathétique qui m'aurait noyée dans ce comble du ridicule consistant, surtout pour qui se pique d' «écrire» (fût-ce «avec COD»), à employer un mot mal à propos dans une figure de style. Commettre des erreurs de vocabulaire est déjà ridicule, mais se tromper de mot quand on cherche à obtenir un surplus signifiant par la figure qui elle-même sort le mot de son usage courant l'est bien davantage. Quant à caser «dendrite» ou «axone» dans mon petit bout verbal, non. Cela n'allait plus du tout... le sens eût été objectivement exact mais quelque chose se rompait en l'absence de la synapse que je ne savais pas raccommoder par la simple substitution du juste mot. Étrange destin que mon esprit a fait subir à ce mot «synapse» dont le son et l'orthographe me sont familiers, que je puis écrire correctement sans avoir besoin de réfléchir ni de consulter un dictionnaire et dont je sais qu'il fait partie du lexique neuronal. Mais que je ne l’utilise jamais, de sorte que, faute sans doute d'un usage régulier et dans des contextes n'appelant que son sens propre, il s'est peu à peu enrobé d'une signification purement imaginaire qui s'est progressivement enkystée au point de me laisser croire qu'elle était correcte.
Cette petite expérience – réaliser qu’un mot supposé connu ne l’est pas du tout au moment où l’on s’apprête à l’utiliser de manière fautive – a eu de nombreux précédents et, à leur suite, je me dis que l’esprit doit souvent effectuer, en ses profondeurs que l’on n’aperçoit pas et où travaillent tels d’infatigables Héphaïstos souvenirs, angoisses, complexes… tout mêlés, ce travail de broderie autour des mots peu ou jamais employés mais qui malgré tout demeurent familiers ‒ on sait les écrire sans hésitation, on les prononce sans heurt et lorsqu’ils sont amenés dans une conversation, on les identifie tout de suite sans avoir besoin de les faire répéter à qui vient de les lâcher au détour d’une réplique. Mais leur sens propre auquel on n’est plus confronté puisqu’on ne les manie pas au quotidien s’estompe, se fantômise*; dès lors, l’imagination a toute latitude pour raviver couleurs et contours sémantiques à sa guise, en puisant dans la seule palette idiolectique… et ces mots ainsi ripolinés de devenir ainsi autant de sources d’erreurs, de méprise. Pareilles aventures lexicales seraient, à n’en pas douter, délectables à retracer, le long de quelque « dendrite » ou « axone » en marquant l’arrêt à chacune des multiples « synapses » afin de s’interroge sur la direction à emprunter…
NB. Les mots suivis d’un astérisque sont, à ma connaissance, de pure invention. Mais, forgés selon des principes de dérivation tout à fait ordinaires, ils ont très probablement germé ailleurs qu’en ces seules terres…