Mon chat Elléas est pansu.
Ce n’est pas vraiment un «gros» chat mais il a un embonpoint localisé dans le bas du corps alors que son torse et sa tête restent plutôt fins – il aurait, en jargon anthropomorphique, un physique typiquement «gynoïde», qu’accentue un léger dandinement des hanches quand il se déplace et qui m’évoque immanquablement M. de Charlus tel que décrit par le narrateur de La Recherche. Chat d’intérieur aujourd'hui âgé de 4 ans et demi et tôt castré, il a très vite gagné cet aspect singulier, bien que n’étant pas goinfre – il a certes un solide appétit mais qui reste sélectif: c’est un gourmand, qui ne s’abandonne jamais à l’absorption indifférenciée. Je demeure toutefois vigilante et tiens sous contrôle ses rations, de manière assez judicieuse semble-t-il puisque les visites annuelles chez le vétérinaire m’ont jusqu’à présent confirmé qu’il était en forme et son poids tout à fait normal eu égard à son âge, son mode de vie – et son état de mâle castré.
Aucune raison, donc, de le priver de ces friandises que je donne chaque matin à mes trois chattes pour, au sens le plus propre de l’expression, «faire passer la pilule» ‒ elles sont toutes soumises à des traitements quotidiens, à vie, et ne consentent à avaler leurs médicaments qu’avec ces «friandises» dont je sais pertinemment que ce sont d’abord des gadgets commerciaux, peu nécessaires à la santé des chats mais qui, pour moi, sont d’un incomparable secours pour médicamenter mes chattes sans stress. Elléas n’a pour le moment aucune pathologie qui justifierait l’octroi de ces «passe-pilule» mais… comment les lui refuser quand, voyant ses compagnes croquer les leurs en ronronnant malgré le comprimé caché, il tend vers moi ce regard à la fois impérieux et implorant? Alors, dans un souci d’équité ‒ tout aussi anthropomorphique sans doute que le jargonneux «gynoïde»; «Tout le monde pareil! pas de jaloux…» aurait dit ma grand-mère, toujours très attentive à ce que chacun ait non pas «selon ses besoins» mais «autant que son prochain» ‒ je lui donne, pareillement, quelques party mix ou autres Catisfaction sur lesquels il se jette et qu’il gobe avec une voracité qu’il ne témoigne envers aucun autre aliment sinon les fragments de viande pure dont j’agrémente parfois les gamelles. Et ce matin, dans l’élan de la distribution rituelle, je me suis mise à fredonner ce petit pastiche…
Elléas Elléas…
Si tu crois qu’t’auras, si tu crois qu’t’auras
Encor’ des friandises
Ce que tu te goures, ce que tu te goures!
Elléas Elléas…
Car déjà est là
la pendante panse,
et les bajoues naissantes
te guettent te guettent…