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Voulant récupérer in extremis le fil de ce que j'avais entamé ici voici deux semaines, avec l'espoir de «mettre en ligne» un ultime signe de mars avant que la course du temps ait balayé les dernières poussières de ce mois (et il est permis de se demander en vertu de quoi cette urgence...) comme le vent ‒ qui, d'ailleurs, souffle à très, très fortes rafales depuis deux ou trois jours ‒ les feuilles et les fétus, je ne retrouve qu'un incipit vide, ne me renvoyant plus à rien de précis par-delà ce phénomène d'interpolations dont je suis si souvent témoin, et dont le surgissement me laisse autant de joie que la conscience de ce surgissement.
Ainsi écrivais-je, le 14 mars:
«Encore, toujours, se croisent et s'entrecroisent les signes dans l'air du moment-qui-passe et ne laisse derrière lui que l'irrémédiable ‒ si l'on peut réparer une usure, une érosion, rien ne peut annuler, gommer un événement et ramener le cours des choses à ce qu'il aurait été SANS le surgissement de cet événement; autrement dit on ne peut intervenir que sur les conséquences, pas sur le surgissement même qui ne se peut en aucun cas annuler (encore que... peut-être quelque future découverte viendra-t-elle démentir ce qui, après tout, n'est qu'une conviction susceptible d'être remise en question, comme toute chose d'ailleurs... et donc ce principe de variabilité lui-même.. Mais pour l'heure, on ne fera jamais que « comme si de rien n'était », comme si: ce n'est jamais que de la feinte...) Bref. Retour à la croisée des signes, pour moi source perpétuelle d'émerveillement étonné quand je viens à la percevoir.»
A quoi pensais-je donc, de quel tissage avais-je commencé de tendre les fils de chaîne… Peut-être étais-je partie de cette référence livresque captée en écoutant «Les Nouveaux chemins de la connaissance» sur France Culture :Adèle van Reeth recevait un invité surprise qu’elle découvrait être Francis Wolf, venu présenter son dernier livre, Pourquoi la musique? Voilà qui entrait en collision avec mon occupation du moment – je relisais les épreuves d’une traduction d’un texte d’Ezra Pound, Antheil et le Traité d’harmonie* ‒, laquelle résonnait avec ces interrogations de plus en plus pressantes qui m’assaillent quant à mon rapport à la musique, mes inclinations musicales si loin, ô combien, de la musique dite «classique» qui décidément ne me touche pas (à l’exception de quelques œuvres de-ci de-là), malgré toutes les tentatives que j’ai amorcées pour m’y initier et aiguiser mon oreille – par exemple en écoutant chaque jour France Musique, prenant là un bain quotidien de symphonies, concertos, sonates, etc. Une habitude dont je me suis assez vite détournée : non, vraiment, je n’arrivais pas à accrocher…
Ou peut-être pensais-je d’autres «synchronicités», qui me font l’effet d’un puissant éclair quand je les perçois et m’embrasent alors instantanément, mais dont je ne hume plus qu’un morne relent de cendres froides sitôt qu’un peu de temps a passé et porté son lot de nouveaux objets de pensée. Au fond, sont-ce les «synchronicités» qui importent en elles-mêmes ou cette curieuse posture dans laquelle je sais me trouver à leur survenue, comme si je me scindais en quatre sans cesser d’être d’une pièce: une part de moi entend le premier signe, une autre entend le second, une troisième noue le lien entre les deux signes, suit tous les amonts, la quatrième, enfin, conscientise toutes ces opérations menées par chacune des trois parts-de-moi. Ego est un millefeuille!
In extremis... avant minuit voilà la «Petite errance» jetée à la Toile. Sans qu'elle soit passée par les moulinettes répétées et réitérées de mes relectures toujours repentantes.
Le défi était là: ne pas laisser partir mars sans qu'un second texte ait été publié ici qui ne fût pas trop inepte. Il ne s'agissait ni de tendre au meilleur «lissage» de l'expression, pas davantage de tourner un propos de grande profondeur. Une manière de lâcher-prise par écrit; de consentir à filer les phrases sans prétendre y enclore ces trop forts tumultes de pensée qui m'embarrassent mais que je ne puis canaliser (ce qui pourtant me comblerait!). Et sans doute ai-je relevé ce gant-là: ce soir en quittant mes terres d'ombre, j'aurai déposé derrière moi un des innombrables petits cailloux que j'ai en poche et cela me suffit ‒ oui, même un petit caillou mal poli...
Ezra Pound, Antheil et le Traité d’harmonie (traduit de l’anglais et annoté par Philippe Mikriammos), éditions Pierre-Guillaume de Roux. Sortie en librairie le 10 avril 2015.
Un texte passionnant qui paraît pour la première fois en français dans son intégralité, remarquablement traduit et mis en valeur par de nombreuses notes et précisions apportées par un traducteur précis, méticuleux, qui témoigne en outre d’un "sens de la langue" aussi aiguisé que poétique. Philippe Mikriammos est aussi l'auteur, chez ce même éditeur, d'une traduction pareillement réussie et enrichie, d'un autre texte d'Ezra Pound, Comment lire (2012).