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1 mars 2014 6 01 /03 /mars /2014 14:35
Exhumations III. Sarlat 2008, journée SACD.

Voici, retrouvée dans mes archives du Littéraire, quelque peu retravaillée et ramenée aux dimensions de ce que m’avait inspiré Montaigne et le commerce conjugal, cette chronique que j’avais consacrée à la Journée des auteurs 2008, qui alors portait l'estampille SACD puisque bénéficiant encore du soutien de cet organisme. En la relisant, j’y découvre un lien supplémentaire avec la pièce de Jean-Claude Idée: elle avait été créée sous le titre Parce que c’était lui, parce que c’était moi…

Après une stimulante lecture dont la matière, toute d’humour caustique, avait été tirée du recueil Les Petits outrages, dû au Bordelais Claude Bourgeyx – paru aux éditions du Castor astral d’abord en 1984 puis réédité en 2004, l’ouvrage réunit un florilège de chroniques hebdomadaires que l’auteur a publiées dans Sud-Ouest Dimanche – suivie de la traditionnelle et délicieuse "assiette périgourdine", l’on assista à la représentation de Montaigne et le commerce conjugal*, une pièce signée Robert Poudérou et dont l'écriture remonte à une quinzaine d'années. Elle fut d'abord diffusée sur France Culture en 1991, intitulée Parce que c'était lui, parce que c'était moi, puis jouée en 1992 au Théâtre de poche-Montparnasse, pourvue alors d'un nouveau titre: Dieu que la femme me reste obscure. Elle fut ensuite régulièrement montée et c'est désormais sous le titre Montaigne et le commerce conjugal que le metteur en scène Benoît Marbot la reprend. Un titre plus attractif pour le public paraît-il parce que l'accent est ainsi mis sur la question des relations de couple, auxquelles on est particulièrement sensible aujourd'hui. On tend d'ailleurs à présenter la pièce comme une admirable réflexion sur le mariage, les femmes, l'amour... En effet l'on voit Montaigne tour à tour harcelé par son épouse Françoise et sa "fille d'alliance" Marie de Gournay, chacune se plaignant à sa façon de ne pas obtenir de lui l'attention tendre et l'amour qu'elles en espèrent – et ce sont alors de savoureux dialogues fins et émouvants, où le grand homme doute, se remet en question... Mais une écoute attentive permet d'entrevoir que le propos dépasse la seule problématique affective.

Vêtus de costumes superbes, évoluant avec grâce et assurance, les comédiens campent à merveille ces personnages illustres. Les mots que leur prête Robert Poudérou, choisis avec soin et entre-tissés de citations empruntées à Montaigne, ont un beau velours d'authenticité. Tandis que Marie et Françoise énumèrent leurs frustrations, Montaigne médite, se demande ce qu'il a bien pu manquer dans sa vie.
Le décor, réduit, n'en est pas moins éloquent: une table couverte de papiers, d'encriers et de plumes, un siège, et un coffre. En trois éléments comme autant de traits d'esquisse, voilà dessiné le lieu de travail, la librairie, et signalée la place primordiale que tiennent l'écriture et l'étude dans la vie de Montaigne - au point qu'il leur a subordonné sa vie familiale. Quant au coffre, symbole du foyer et des occupations domestiques, il est relégué dans un coin et manipulé par la seule Françoise. L'on s'assoit souvent dessus... N'est-ce pas là une manière de montrer combien les questions d'intendance occupaient peu l'esprit de Montaigne?

Réduisant la pièce à une réflexion sur la "conjugalité" et à une exploration des rapports que Montaigne avait avec les femmes, certains spectateurs ont estimé "poussiéreux" de regarder vers le XVIe siècle pour aborder des problèmes actuels. Benoît Marbot estime au contraire que se référer au passé permet de se distancier des sujets traités en diminuant l'emprise que pourraient avoir des interférences émotionnelles causées par une trop grande proximité avec un vécu personnel – et donc de gagner en liberté de pensée. Quoi que l'on pense, peut-être convient-il, tout simplement, de regarder cette pièce comme un bel hommage à Montaigne – les premiers titres qui lui ont été donnés, les nombreuses citations, la tirade sur La Boétie y invitent qui ne chercherait pas à toute force à questionner l'aujourd'hui à travers l'hier. Le "commerce conjugal" réintègre alors la sphère privée et, ainsi, les émotions des personnages ressortent, prennent le pas sur les "questions de fond" – la pièce retrouve une dimension intimiste.

Écrite dans une langue élégante et soignée, ne mimant jamais celle du XVIe siècle mais lui empruntant assez de traits pour ne point mal sonner dans les bouche des personnages, bien construite, la pièce fut en outre superbement interprétée par des comédiens au jeu juste et sensible. Montaigne, son épouse et sa "fille d'alliance", si éloignés de nous à force de n'être là qu'à travers leurs écrits ou ceux que d'autres leur ont consacrés, ont ce soir repris chair et vie pour nous toucher par ce qu'ils ont de plus humain – leurs émotions et les fêlures de leur affectivité.

Avec, en guise de toile de fond, les vénérables pierres blondes de l'ancienne abbaye qui donnaient aux étoffes des costumes un somptueux rehaut, le spectacle eut un cachet unique, typiquement sarladais.

Montaigne ou le commerce conjugal
Texte de Robert Poudérou.
M
ise en scène:
Benoît Marbot.
Avec:
Laurent Benoît, Sabrina Bus, Rosa Ruiz.
Costumes:
Cécile Flamand.
Son:
Nicolas Brassart.
Lumières:
Pierre Serval.
Durée:
1h20.


Représentation donnée le 27 juillet 2008 à l'abbaye Sainte-Claire en seconde partie de la Journée des auteurs SACD..

* Le texte de la pièce a été publié sous son titre initial, Parce que c’était lui, parce que c’était moi, dans le n° 909 de L’Avant-scène théâtre (mai 1992), précédée d’une autre pièce du même auteur, Les Princes de l’ailleurs.

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