Cale sèche où, tels des vaisseaux à demi construits auxquels manque encore l’essentiel des œuvres, vives et mortes, ils attendraient d’être enfin achevés? Chambre cryogénique qui les contiendrait comme des corps plongés dans l’azote liquide, gisant gelés-vitrifiés dans leur état de non-vie mais paraissant promis à émerger vifs quand j’aurai trouvé comment remédier à leur incomplétude létale? Bien plutôt nécropole! Car ils sont là rangés, pourrissant lentement de perdre leur pertinence (que vaudrait par exemple une chronique théâtrale, fût-elle dithyrambique, quand la dernière représentation du spectacle a été donnée et qu'aucune reprise ne semble se profiler?), cadavres déjà avant d’avoir éclos et encombrant l’espace du chaos putride de leurs paragraphes inaboutis, ces tissus gangrenés de maladresses et de manques ossifiés, jusqu’à ce que je me résolve, sous l’impulsion purificatrice d’une brusque lucidité me montrant que jamais je ne les terminerai, à les supprimer définitivement d’un clic… Chaque fois je me demande, en contemplant son contenu, ce qu’est en réalité cette rubrique "Brouillon" où s’accumulent des textes en souffrance – je ne vois pas plus juste expression car douleur il y a en moi face à leur inachèvement, et eux affichant leurs vides, leurs béances, ont bien l'air de "gueules cassées". Fi du ridicule qu'il peut y avoir à faire preuve d'un pareil anthropomorphisme: je ne puis m'empêcher d'imaginer que ces articles mal ficelés sont blessés de leurs tares et qu'ils en souffrent. Mais peut-être est-ce simplement le résultat d'un "effet miroir": moins qu'un texte je vois en chacun d'eux le reflet cru et peu flatteur de l'une ou l'autre de mes incompétences, dont je sais l'existence sans m'efforcer d'y remédier, tout juste bonne à m'en plaindre.
Une fois de plus j'aurai compensé mes pannes de plume en les érigeant, elles et leurs fruits avortés, en "objets d'écriture". Ce n'est, encore une fois, rien autre qu'un palliatif, et piètre. Mais quel salutaire émonctoire!